Colloque

Les pratiques enseignantes à l'épreuve des contextes :
Apprentissage, professionnalisation, adaptation

Vendredi 28 juin 2019

ESPE Centre-Val de Loire, site Bourgogne - 72 rue du Faubourg de Bourgogne, Orléans

Argumentaire

Les pratiques éducatives et pédagogiques mises en œuvre sur les terrains scolaires français doivent faire avec une tension permanente, dont les termes sont régulièrement renégociés, entre visée universaliste d’une part, adaptation à la spécificité des contextes locaux d’autre part (1). La « lente marche de la décentralisation » concerne ainsi l’éducation, autant que d’autres secteurs de l’action publique, et tend à remettre progressivement en cause l’idéal de « l’école unique française » (2), à mesure que se déploie un modèle postbureaucratique remplaçant des stratégies traditionnelles de gestion hiérarchique par des logiques de régulation procédurale pensées pour encadrer des modes de gestion locale de l’action éducative (3). Les politiques d’éducation prioritaire, plus récemment celles relatives à l’éducation partagée, sous la forme des contrats et projets éducatifs locaux, puis des projets éducatifs de territoire (4), sont caractéristiques de ce « glissement progressif d’un État-Nation, maître d’œuvre et maître d’ouvrage de l’acte éducatif vers une réappropriation locale de l’éducation » (5).

Une telle « réappropriation locale », quand elle est effectivement envisagée (elle est en effet très régulièrement remise en cause), invite à penser les pratiques enseignantes comme ajustées à des contextes spécifiques, cependant selon des modalités qui peuvent être très variables : adaptation plus ou moins marginale d’une pratique générique ; sélection, selon une logique d’individualisation, d’une ou de pratiques spécifiques parmi un répertoire de « bonnes pratiques » qui reste pré-établi ; plus radicalement, conception de l’acte éducatif comme réponse toujours située, pertinente ici et maintenant, à une problématique unique, à des questions posées par un terrain particulier.

La manière dont est pensée l’articulation entre pratiques enseignantes et contextes d’exercice interroge le statut de la recherche, la fonction sociale des chercheurs, la manière dont eux-mêmes ou leurs travaux influent sur la pratique enseignante. S’agit-il simplement pour les chercheurs de rendre disponibles et de vulgariser des résultats de recherche ? Accompagnent-ils les professionnels, en s’appuyant sur une expertise méthodologique, dans la recherche de solutions situées, prenant en compte la spécificité des contextes ? Jouent-ils le jeu d’un modèle applicationniste, dans lequel la recherche détermine les bonnes pratiques (par exemple selon un idéal d’évidence-based research) dont les professionnels sont appelés à devenir les simples opérateurs ? L’intervention du chercheur peut-elle, doit-elle s’appuyer sur des modèles mixtes, articulant, selon les enjeux locaux, ces diverses approches ?

Finalement la formation, initiale et continue, des enseignants n’échappe pas à cette tension. La place centrale accordée à la recherche, depuis quelques années, dans la formation initiale des enseignants, peut être perçue comme visant la formation de praticiens réflexifs, capables de produire localement des réponses éducatives et pédagogiques adaptées à leurs contextes d’exercice. Mais les modalités concrètes de la « formation à et par la recherche » peuvent soutenir des démarches descendantes, visant l’appropriation par les étudiants de résultats de recherche qui feront potentiellement autorité. De la même manière, quel rôle peuvent jouer les dispositifs réflexifs dans ce débat : constituent-ils un détour habile qui validera finalement une doxa(en l’occurrence une manière de faire et de penser qui ignore les contextes particuliers et leurs enjeux) ? Visent-ils au contraire à remettre en cause des habitudes de pensée, pour construire des cadres de références, des types de rapport à la question éducative, des conceptions du métier, de l’élève, de l’acte éducatif fondés sur le caractère singulier des expériences de terrain, et soutenant potentiellement une créativité pédagogique, une capacité à penser des réponses toujours nouvelles dans des contextes en mutation permanente ? Ou bien, là encore, comment ces dispositifs se situent-ils dans une continuité allant de l’un à l’autre de ces extrêmes ?

(1) Dominique Schnapper, « L’universel républicain revisité », VEI Diversité, 2000, n°121, pp. 10-22.

(2) Nathalie Mons, Les nouvelles politiques éducatives/ La France fait-elle les bons choix ? Paris, PUF, 2007, p. 89.

(3) Agnès van Zanten, Les politiques d’éducation, Paris, PUF, QSJ, 2004, p. 82.

(4) Benard Bier (éd.), Vers l’éducation partagée. Des contrats éducatifs locaux aux projets éducatifs locaux (Cahiers de l’action n°7)Marly-le-Roi, INJEP, 2008 ; Jehanne de Grasset, « Les partenariats éducatifs, vecteurs d’accompagnement du changement ? », Éducation et Socialisation, 2015, n° 38, en ligne : https://journals.openedition.org/edso/1245.

(5) Philippe Maubant & Claude Leclerc, « À la recherche de l’improbable partenariat école-famille ; origines d’un malentendu », in G. Pithon, C. Asdith & S. J. Larivée (éds.), Construire une communauté éducative : un partenariat famille-école-association (pp. 23-36), Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2008, p. 265.

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